Le Lindy Hop est une danse sociale née dans les années 1930 dans le contexte de la Harlem Renaissance. Musique et danse jazz ont donné une voix à la communauté africaine-américaine, dans un contexte de ségrégation et d’oppression. Par la connexion à la musique, à son partenaire et aux autres danseureuses, se crée une danse à la liberté infinie.
Le Solo Jazz, également connu sous les noms de Jazz Roots, Authentic Jazz ou African American Vernacular Jazz Dance, a ses fondations profondément ancrées dans les danses d’Afrique de l’Ouest, dont il a hérité la polyrythmie et l’improvisation.
Le Charleston est la première incarnation majeure de ce qui allait devenir le Solo Jazz. Émergeant dès les années 1920 de la même effervescence culturelle africaine-américaine que le Lindy Hop, il s’est rapidement imposé par ses jeux de jambes, ses twists et son énergie folle.
Une danse, une histoire, une communauté
Des racines africaines-américaines
📸 1941 – Des danseureuses de la troupe des Whitey’s Lindy Hoppers au Savoy Ballroom (source – Granger Historical Picture Archive)
Le Lindy Hop est une danse sociale née dans les années 1930, en pleine Harlem Renaissance. Il incarne l’identité d’une communauté et la puissance de l’expression artistique africaine-américaine dans une époque d’oppression et de ségrégation.
Des figures légendaires comme Frankie Manning et Norma Miller, membres des Whitey’s Lindy Hoppers, ont contribué à propulser cette danse sur le devant de la scène.
Leurs performances mémorables dans des films cultes tels que Hellzapoppin‘ et A Day at the Races continuent d’inspirer les danseureuses d’aujourd’hui avec des séquences mythiques. Mais ces représentations filmiques étaient souvent teintées par l’imaginaire colonial stéréotypé de l’époque. Libre de ces stéréotypes, le documentaire The Spirit Moves offre un témoignage précieux des danses africaines-américaines de cette période et permet de mieux en saisir la richesse.
Une pratique culturelle vitale
📸 Josephine Baker
par Gabriel Casas I Galobardes
The Government of Catalonia, Spain
CC BY – NC – ND
Le Jazz – musique et danse- émerge d’une rencontre entre la culture de la diaspora africaine issue de l’esclavage, et celle des colons européens.
Il puise ses principales inspirations dans le Blues, le Ragtime et les fanfares de la Nouvelle-Orléans. Le Blues trouve ses racines dans les chants de travail et les spirituals des esclaves africains.
Déporté·es aux États-Unis dès le 17e siècle, les esclaves ont apporté avec elleux leurs chants et leurs danses. Ring Shout ou danse Juba, par leurs mouvements et rythmes complexes, permettaient alors de contourner l’interdiction de jouer de la musique.
Durant l’esclavage puis la ségrégation, la danse était vitale. Comme l’explique la chorégraphe Camille A. Brown, « il s’agissait de maintenir vivantes les traditions culturelles en conservant un sentiment de liberté intérieure en captivité.»
Au XIXe siècle, les brass bands ont connu un essor fulgurant aux États-Unis grâce à l’arrivée massive d’instruments à vent européens. À la Nouvelle-Orléans, ces ensembles ont fusionné les traditions musicales européennes, africaines et antillaises pour créer un répertoire unique et métissé. Très sollicitées pour animer des événements variés comme les « Jazz funerals » ou les bals, ces fanfares ont ainsi joué un rôle essentiel dans la diffusion du Jazz.
Le Charleston est né au début des années 1920 dans la mouvance du Hot Jazz, du Early Jazz et du Ragtime. Le Ragtime est un genre musical américain majeur de la fin du XIXe et du début du XXe siècle, principalement pour piano. Caractérisé par une mélodie fortement syncopée (le « ragged time ») à la main droite sur une basse régulière à la main gauche, il est un précurseur essentiel du Jazz. Parmi les histoires sur les origines du Charleston, on trouve celle du Révérend Jenkins et de son Jenkins Orphanage Band.
Joséphine Baker a largement contribué à populariser le Charleston en Europe, y cherchant une liberté que l’Amérique ségréguée ne lui offrait pas. La ceinture de bananes s’inscrivait dans une esthétique d’ « exotisme » et de « primitivisme » très en vogue dans l’Europe des années 1920. Cette représentation répondait à un imaginaire colonial persistant, qui assignait aux personnes noires une nature « sauvage », « sensuelle » et « authentique » en opposition avec la « civilisation » occidentale. En embrassant ces stéréotypes pour les déconstruire de l’intérieur, elle a transformé un élément potentiellement déshumanisant en un symbole iconique de sa liberté et de son audace.
Le Swing dans une Amérique ségréguée
📸 Duke Ellington and orchestra dans une scène du film scene Cabin in the Sky, The New York Public Library Digital Collections. 1943
Dans la première moitié du 20e siècle, des millions d’Africain·es-Américain·es émigrent vers les États du Nord, cherchant travail et liberté. Harlem, à New York, devient alors la capitale symbolique de la Renaissance de Harlem, un mouvement culturel majeur né vers 1918 qui a ouvert la voie à la lutte pour les droits civiques. C’est dans ce contexte effervescent que les clubs de Harlem ont vu naître les premiers big bands noirs des années 20, menés par des figures comme Fletcher Henderson ou Duke Ellington. Tandis que le Cotton Club était réservé aux Blancs, le Savoy Ballroom accueillait tout le monde, sans distinction.
L’orchestre de Duke Ellington a popularisé des standards comme « It don’t mean a thing if it ain’t got that swing ». Cependant, le manque d’argent a souvent contraint des musiciens comme Fletcher Henderson à vendre leurs arrangements, ce qui a amené des big bands blancs, tels que ceux de Benny Goodman et Glenn Miller, à récupérer ces compositions originales et à profiter de la notoriété du Swing, propulsant la danse à travers les États-Unis et jusqu’en Europe.
Solo Jazz, routines & improvisation
📸 Cotton Club Chorus Line and Cab Calloway
Le Solo Jazz, également connu sous les noms de Jazz Vernaculaire, Authentic Jazz ou Jazz Roots, partage une parenté étroite avec les claquettes (tap dance), toutes deux étant des formes de danse percussives issues de la même riche tradition africaine-américaine. Des légendes comme Bill « Bojangles » Robinson et les Nicholas Brothers, en ont marqué l’histoire.
Dès le début du XXe siècle, les « chorus lines » – des groupes de danseureuses aux pas et rythmes synchronisés – se produisent sur les scènes de Vaudeville, dans les comédies musicales de Broadway, les films musicaux d’Hollywood, et dans des clubs mythiques tels que le Cotton Club ou l’Apollo Theater, où ils accompagnent les big bands de Jazz.
Le Solo Jazz s’incarne également dans des routines chorégraphiées devenues des classiques intemporels. Le Shim Sham, originaire des claquettes et du Vaudeville des années 1920, a été popularisé dans la communauté swing par Frankie Manning dans les années 1980. Le Tranky Doo est une autre routine classique, tandis que le Big Apple, une danse de groupe en cercle, a été rendue célèbre par la chorégraphie de Frankie Manning pour le film Keep Punchin’. Née dans les « juke joints » afro-américains de Columbia, en Caroline du Sud, le Big Apple a été revisitée par Manning, qui y a reconnu des éléments des « ring shouts » – des rituels africains-américains où la communauté crée des rythmes en cercle avec percussions corporelles. Bien qu’aujourd’hui principalement enseignée sous sa forme chorégraphiée, cette danse était à l’origine improvisée.
l’improvisation est au cœur du Solo Jazz, permettant aux danseur·euses d’exprimer leur personnalité et leur créativité en dialogue constant avec la musique. Un vocabulaire de pas commun est accessible, comme ceux présentés par le danseur et chorégraphe Chester Whitmore dans la vidéo « Alphabetical Jazz Steps« . Ce répertoire peut servir de base pour développer des mouvements et des rythmes personnels.
Des danses en mouvement
📸 Une foule rassemblée devant le Savoy Ballroom, un haut lieu culturel et emblématique du quartier de Harlem © Bettmann/Corbis
Le Jazz et les danses qui lui sont associées, comme le Lindy Hop, le Charleston et le Solo Jazz, incarnent bien plus que de simples formes artistiques. Nées de la résilience et de la créativité des communautés africaines-américaines face à l’esclavage et à la ségrégation, ces expressions culturelles ont puisé dans les traditions ancestrales africaines pour forger le langage d’une communauté.
L’influence de ces danses se retrouve dans des styles contemporains comme le Funk, la House et le Hip-Hop, ce qui témoigne de la constante réinvention des danses africaines-américaines. Comme l’explique Jeannine Fischer, fondatrice de la Waka Waka Dance Academy de Lille, les danses de matrice africaine visent à « se connecter avec l’énergie de la terre pour libérer son corps et son esprit, retrouver sa confiance et son estime de soi, danser avec son cœur, lâcher prise. »
Danser nous invite à nous questionner sur ce que nous cherchons à exprimer par ce langage corporel : Quelle est notre identité au sein de cette culture riche et complexe ? Quelles valeurs défendons-nous ? Puisque nous avons la chance de pouvoir danser librement, rappelons-nous que nous sommes des invité·es de cette culture. Nous souhaitons co-créer avec les danseureuses un espace sécurisant, où chacun·e peut être pleinement soi et s’autoriser à s’exprimer de manière authentique.
