Au cœur du jazz, la culture africaine-américaine

Danser le lindy hop et le solo jazz à Lille 2

© photo Marie Ducourant 

Charleston

Le charleston est plein d’énergie, de twists et de kicks. Il se danse en solo ou en duo. Né dans les années 20 au sein de la communauté noire-américaine, il s’est  développé à la Nouvelle-Orléans avant d’arriver à Chicago puis à New York, quand les musiciens de jazz du Sud ont suivi le flux migratoire des Noir·es en quête d’une vie meilleure.

Lindy hop

Le lindy hop s’est développé dans les années 30 en pleine renaissance de Harlem, nouveau centre de la vie culturelle africaine-américaine. Après le ragtime et le hot jazz, les orchestres swing, aux rythmes syncopés, se caractérisent par l’improvisation collective et une grande expressivité qui transforment la danse. Dans une Amérique ségréguée, le lindy hop est l’incarnation de la liberté.

Solo jazz

Aussi appelé jazz vernaculaire, authentic jazz et jazz roots, le solo jazz est intimement lié aux danses africaines et aux claquettes. Issu de l’évolution du charleston, il se danse en solo, contrairement au lindy hop qui se pratique en couple.

L’improvisation est au coeur du solo jazz. Les danseur·euses expriment leur personnalité et leur créativité dans un dialogue constant avec le rythme et les mélodies.

On retrouve l’influence du solo jazz dans le funk et le hip hop, entre autres danses s’inscrivant dans le continuum des danses africaines américaines.

On apprend un vocabulaire commun, on se laisser porter par la musique et on improvise rythmes, déplacements et mouvements !

Pour en savoir plus

Il est essentiel de protéger l’héritage culturel de la danse jazz, en construisant ensemble une communauté consciente et respectueuse de cet héritage, inclusive et accueillante. Le contexte social et historique qui a vu naître et se développer musique et danse jazz est riche et complexe. Le swing fait partie de la famille du jazz, né de la rencontre de deux cultures, celle de la diaspora africaine issue de l’esclavage, et celle des colons européens. La danse était un langage qui permettait de maintenir un lien social et une liberté d’être en situation d’esclavage puis de ségrégation. Selon la danseuse et chorégraphe Camille A. Brown, « il s’agissait de maintenir vivantes les traditions culturelles en conservant un sentiment de liberté intérieure en captivité. » Le lindy hop était dansé par la population noire de Harlem à l’aube des mouvements pour les droits civiques aux États-Unis, comme une libération face à l’oppression dans l’Amérique ségréguée. Les danses africaines-américaines n’ont cessé d’évoluer depuis leurs origines jusqu’à aujourd’hui.

Aux origines du jazz on trouve notamment le ragtime et le blues, avec pour terreau les chants religieux (gospels, negro spirituals), la vie quotidienne et le travail des esclaves dans les champs de coton. Les esclaves déporté·es vers les États-Unis aux 17ème et 18ème siècles y emmènent leurs chants et leurs danses. Dans le ring shout ou la danse juba, les danseurs et danseuses se déplacent en cercle, frappent le sol de leurs pieds et tapent dans les mains, créant ensemble des rythmes complexes et contournent ainsi l’interdiction de jouer de la musique. Par les rythmes corporels et la danse sociale, les esclaves parvenaient peut-être, malgré leur captivité, à préserver leurs traditions et à cultiver leur liberté intérieure.

Les explications sur les origines du charleston sont multiples. On trouve notamment l’histoire du Révérend Jenkins, qui fonde un orphelinat à la fin du 19ème siècle dans la ville de Charleston, en Caroline du Sud. Grâce à une collecte d’instruments et au recrutement de musiciens pour enseigner aux enfants, le Jenkins Orphanage Band voit le jour. Les enfants jouent de la musique dans la rue, et certains d’entre-eux dansent des mouvements qui s’apparentent à ceux du charleston. Joséphine Baker contribue largement à rendre le charleston populaire en Europe. En s’installant en France, elle espère retrouver sa liberté d’esprit et de corps. Elle participe à la « Revue Nègre » au Théâtre des Champs Élysées. Vêtue d’un pagne de bananes, elle satisfait l’imaginaire colonial des spectateurs, avant de devenir une figure internationale des droits civiques. En 1917, Joséphine Baker est la témoin d’une agression de la communauté noire de sa ville par des Blanc·hes.  Le roman graphique que Catel & Bocquet lui ont consacré illustre bien cet événement dont elle est la témoin à l’âge de 11 ans, et qui la marquera à jamais: l’émeute raciale du ghetto de East Saint Louis. Après la crise de 1929, les lynchages étaient courants aux États-Unis, comme le chante Billie Holiday dans Strange Fruit en 1939. Le jazz est une musique de l’âme, qui s’ancre dans l’histoire coloniale et qui relie des êtres à eux-mêmes et à leurs racines.

Dans la première moitié du 20ème siècle, des millions d’africain·es-américain·es rejoignent des états du Nord, dans l’espoir de trouver du travail ainsi qu’une plus grande liberté. Le quartier new yorkais de Harlem devient la capitale symbolique d’un mouvement culturel qui voit le jour vers 1918 et qu’on appelle la Renaissance de Harlem. Ce mouvement annonce la lutte pour les droits civiques des années 1940 et impacte les arts au sens large, dont la littérature et la musique. C’est dans ce contexte que les nombreux clubs de Harlem font jouer des musicien·nes de jazz et que naissent dans les années 20 les premiers big bands noirs tels que ceux de Fletcher Henderson ou de Duke Ellington. Au Cotton Club, seules les personnes blanches sont autorisées à faire partie du public alors qu’au Savoy, tout le monde est accueilli, sans distinction de couleur de peau. Parmi les standards de l’orchestre de Duke Ellington, on trouve « It don’t mean a thing if it ain’t got that swing », littéralement, « ça n’a pas de sens s’il n’y a pas ce swing ». Par manque d’argent, Fletcher Handerson revend ses arrangements à Benny Goodman. En pleine Amérique ségréguée, ce sont des big bands blancs comme ceux de Benny Goodman et Glenn Miller, qui reprennent les compositions originales d’orchestres noirs et bénéficient de la notoriété apportée par le swing. C’est l’explosion des danses swing dans tous les États-Unis et jusqu’en Europe.

Parallèlement au swing se développe le lindy hop, véritable espace de liberté pour la population noire, en réponse à l’oppression subie. Les Cat’s Corner jams, où les danseur·euses se relaient entouré·es d’un cercle de spectateur·trices, voient défiler des lindy hoppers comme Leon James, George Snowden, Frankie Manning et Norma Miller. La troupe des Whitey’s Lindy Hoppers se produit dans le monde entier, modifiant radicalement dans son sillage les pratiques de danse sociale. Deux extraits de films où dansent les Whitey’s Lindy Hoppers sont très connus parmi les lindy hoppers, A day at the Races (1937) et Hellzapoppin’ (1938). Les tenues qu’ils y portent (personnel de cuisine ou de ferme) témoignent des clichés raciaux de l’époque. Les deux danseurs et membres des Whitey Lindy Hoppers Al Minns et Leon James, en collaborant au documentaire référence sur les danses jazz The Spirit Moves, A History of Black Social Dance on Film, ont permis avec d’autres danseur·euses de garder de précieux témoignages des danses sociales africaines-américaines du 20ème siècle. 

Les Nicholas Brothers font partie des légendes de l’histoire des claquettes. Leur technicité, leur humour et leurs acrobaties continuent de fasciner. Dans le film Stormy Weather (1943), leurs pieds font littéralement partie des instruments de l’orchestre de Cab Calloway. Dans les années 1960, la troupe de Mama Lu Parks se produit et continue de faire vivre les danses swing. Dans les années 80, des lindy hoppers de l’âge d’or du swing tels que Frankie Manning et Norma Miller contribuent à repopulariser le lindy hop dans le monde entier. Les routines telles que le Shim Sham, le Tranky Doo ou le Big Apple, ont été chorégraphiées dans le passé pour des performances ou des séquences de films. Par exemple, Le Big Apple tel qu’on le danse aujourd’hui est inspiré du film Keep Punchin’ (1939) mais avant cela, c’était une danse d’improvisation. Si le Shim Sham tel qu’on le connaît aujourd’hui a été popularisé par Frankie Manning dans les années 80, il trouve néanmoins ses racines dans le monde des claquettes. Le danseur et chorégraphe Chester Whitmore montre bon nombre de pas populaires dans les années 20 et 30, dans une vidéo intitulée Alphabetical Jazz Steps.

Les danses africaines-américaines se réinventent sans cesse. Elles se ramifient et évoluent avec les musiques et les réalités historiques et sociales. Les mouvements et rythmes du début du siècle passé continuent de vivre jusqu’à nos jours dans des danses aussi variées que le solo jazz contemporain, le funk, le hip-hop ou la house. Lindy hop et solo jazz sont avant tout des danses rythmiques d’improvisation et de liberté, dans un dialogue avec la musique. Jeannine Fischer, directrice et fondatrice franco-camerounaise de la Waka Waka Dance Academy de Lille, enseigne avec passion des danses de matrice africaine: « toute l’idée ici, est de se connecter avec l’énergie de la terre, la puiser, pour libérer son corps et son esprit, retrouver sa confiance et son estime de soi, danser avec son cœur, lâcher prise. » Qu’est-ce qu’on a envie de communiquer aujourd’hui par la danse ? Le fait de se connecter à la musique et aux autres, avec son corps, son histoire individuelle et commune. Le partage de bons moments de danse, qui participent d’un retour à soi et au collectif. Encourager les danseur·euses à se sentir libres d’improviser sur la musique, et contribuer à notre échelle à ce qu’ils et elles trouvent dans leur communauté swing locale un endroit accueillant et sécurisant où s’exprimer.